​​​​​​​Au Niger, à peine 64% des filles sont inscrites à l’école. Ainsi, en 2012 ; le taux d’alphabétisation des femmes est seulement de 18,2% contre 40,2% pour les hommes. Souvent, les filles quittent l’école avant d’avoir fini leur cursus.

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Les raisons sont multiples et concernent aussi bien le mariage précoce, la grossesse précoce, l’éloignement géographique et la mauvaise considération du système scolaire. Le projet Sarraounia mené par Enabel, l’agence belge de développement, tente d’inverser cette tendance en stimulant la confiance en soi des filles.

 

Le contexte

Les chiffres sont clairs : l’éducation permet de protéger les filles. Elle fait baisser le nombre de mariages précoces, ainsi que la mortalité infantile. Avec l’éducation comme outil, les filles contribuent à faire de leur communauté un endroit plus juste et plus inclusif. Les filles éduquées grandissent pour devenir des femmes qui investissent 90 % de ce qu’elles gagnent dans leur famille ; les revenus familiaux peuvent augmenter de 25 % pour chaque année de scolarisation et les mères éduquées sont plus de deux fois plus susceptibles d’envoyer leurs enfants à l’école.  

Or, sur place, la scolarisation des jeunes  nigériennes n’est pas optimale, surtout dans les zones rurales. Comme l’explique Balkissa Harouna Brah, la coordinatrice du projet Sarraounia :

Les facteurs d’abandon scolaire des filles sont multiples. L’environnement scolaire est caractérisé par un manque d’infrastructures et d’équipements. Dans la plupart des collèges ruraux, les élèves sont assis par terre et ne disposent pas de latrines. De plus, les normes sociales privilégient souvent le mariage de la jeune fille au détriment de la réussite scolaire. Enfin, un facteur, dont on ne parle que rarement, est lié à la dégradation de la qualité du système éducatif. Beaucoup de filles sont motivées, elles veulent réussir leurs études, mais la majorité d’entre elles encourent le risque d’être exclues du système en raison de la faiblesse de leurs résultats. Quand une fille est exclue, la seule alternative qui lui reste, c’est le mariage.

Dès lors, l’élaboration par le gouvernement nigérien d’une stratégie pour accélérer la scolarisation des filles constitue une réelle avancée : il y a au moins une reconnaissance officielle de la nécessité de lutter contre les stéréotypes de genre, ancrés dans une société nigérienne fortement patriarcale, à travers la recherche de pistes de solutions nouvelles. Dans un tel contexte, il était on ne peut plus légitime pour nous de tester une nouvelle approche méthodologique pour réduire les inégalités scolaires entre filles et garçons au sein de nos communautés rurales cibles. 

 

La solution

C’est pourquoi le projet Sarraounia mené par Enabel, en collaboration avec le gouvernement nigérien, vise à maintenir les jeunes filles à l’école dans les communes rurales de la région de Dosso, en prêtant attention aux obstacles qu’elles rencontrent au quotidien.

Son objectif ? S’attaquer à la racine du problème ainsi qu’à la pratique du mariage précoce lui-même en abordant la question de la scolarité des filles sous différents angles : s’engager avec les parents et la communauté, aborder les perceptions des rôles de genre, de l’empowerment et de l’estime de soi.

« Le Projet Sarraounia est un projet pilote, explique Balkissa. Dès le départ, nous avons voulu expérimenter une approche incitative afin d’amener la majorité des acteurs locaux à comprendre les bénéfices de la scolarisation des jeunes filles. »

 

Mais comment convaincre les parents, et plus particulièrement les mères, d’envoyer leurs filles à l’école ?

Les plus grandes résistances à un changement social se manifestent principalement au niveau de la sphère privée, au sein même des familles. Afin de gagner la confiance des communautés et de nouer une relation privilégiée avec les parents d’élèves notamment, nous avons dès le départ privilégié un suivi de proximité. Nous travaillons avec des ONG locales qui ont affecté une animatrice dans chaque village d’intervention. Elles s’y rendent toutes les deux semaines et organisent des séances de discussion avec les mères, les pères, les professeurs , les filles et les garçons .

Il s’agit donc de responsabiliser l’ensemble de la communauté. Un enjeu essentiel selon Fati, la secrétaire de l'association des mères d'élèves à Birni N'Falla: « Nous sommes responsables du faible taux de réussite des filles. Nous donnons tout le temps nécessaire aux jeunes garçons pour s’adonner aux études, mais nous reléguons les filles aux travaux de ménage », explique-t-elle. Pour Fati, les parents doivent accorder autant d’attention à l’instruction de leur fille qu’à celle de leur fils. « Tous deux peuvent et doivent aller à l’école le temps qu’il faut. », ajoute-t-elle.

 

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En quoi la méthode de travail du projet Sarraounia est-elle innovante ?

« Jusqu’à présent, les projets de scolarisation des filles au Niger ont adopté une vision technocratique des inégalités de genre, ce qui ne facilite pas l’appropriation d’un tel concept par les acteurs locaux. », explique Balkissa. C’est pourquoi Enabel et son partenaire ont préféré l’expérimentation d’une nouvelle approche méthodologique, plus pragmatique dans ce contexte marqué par une dénégation manifeste de la problématique même des inégalités scolaires, dont les filles sont les principales victimes : « la sensibilisation relationnelle sur la scolarisation de la jeune fille ». 

 

Le résultat

Pour une intervention pilote comme le projet Sarraounia, l’innovation est une priorité stratégique. L’enjeu véritable de cette expérimentation est double. D’une part, amener les acteurs locaux à prendre conscience que la scolarisation des filles est une problématique sociale réelle à laquelle il est nécessaire de trouver des solutions locales adaptées à leurs propres réalités. 

D’autre part, motiver les acteurs locaux à s’engager eux-mêmes volontairement dans les efforts de plaidoyer collectif en faveur de cette transformation sociale souhaitable. « À cette fin, nous avons mis en place des activités novatrices au Niger, telles que des séances de théâtre participatif sur des thématiques sensibles comme le poids des tâches ménagères ou le mariage précoce. », explique Balkissa.. 

C’est dans ce même contexte que Enabel a aussi commencé à organiser des journées d’éveil. Il s’agit de visites d’immersion de trois jours que nous effectuons dans chaque communauté et durant lesquelles des activités récréatives, sportives ou culturelles sont organisées. Le projet Sarraounia a, par exemple, mis sur pied un échange scolaire entre les élèves de 3e du collège rural de Tombo Kasso et d’un collège privé de Niamey. Au-delà des liens tissés entre des élèves originaires de classes sociales différentes, ces journées ont permis aux élèves filles, qui ont commencé l’apprentissage du hand-ball cette année, de jouer un match avec les élèves de la capitale. 

À travers cette méthode, nous avons contribué à créer un cercle vertueux de communication pour un changement social au niveau local. Chaque individu a désormais l’opportunité d’être bénévolement un maillon dans une chaîne de sensibilisation citoyenne sur la scolarisation de la jeune fille. C’est une méthodologie cohérente avec un des principes clés de la Coopération belge, à savoir le soutien aux dynamiques locales dans des interventions, qui privilégient les approches de développement endogènes.

 

Voyage d’étude au Bénin

En organisant annuellement la compétition Sarraounia pour récompenser les acteurs les plus engagés, le projet espère susciter l’intérêt de la majorité des acteurs pour le changement de comportement désiré, notamment, la rétention des jeunes filles au collège jusqu’à l’obtention de leur BEPC*.
*Brevet d’étude du premier cycle

En septembre 2017, nous avons, par exemple, organisé un voyage d’étude au Bénin pour les meilleures élèves de nos collèges d’intervention. Ces filles, qui excellent dans leurs études, constituent une exception. Leur offrir cette récompense, c’est quelque chose d’inédit et d’inimaginable dans le milieu rural. Ce genre d’actions suscite plus l’intérêt des parents qui sont réticents vis-à-vis de la scolarisation des filles , nous explique Balkissa. 

« Le choix du prix n’a pas été évident, puisque, pour promouvoir significativement le changement de comportement souhaité, les prix doivent être suffisamment attractifs aux yeux des bénéficiaires ciblés. Or, le voyage d’études dans un pays comme le Bénin pour les jeunes filles lauréates, des jeunes filles dont la majorité n’a jamais voyagé en dehors de son village, nous a semblé un prix attrayant à la fois pour ces jeunes filles, leur famille et les communautés. »

 

Sources

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